Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/372

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que le couteau était là, derrière lui, sur la table : il le sentait, il n’avait qu’à allonger la main.

D’un effort, il parvint encore à bégayer :

— Recouche-toi, je t’en supplie.

Mais elle ne s’y trompait pas : c’était la trop grande envie d’elle qui le faisait ainsi trembler. Elle-même en avait une sorte d’orgueil. Pourquoi lui aurait-elle obéi, puisqu’elle voulait être aimée, ce soir-là, autant qu’il pouvait l’aimer, jusqu’à en être fou ? D’une souplesse câline, elle se rapprochait toujours, était sur lui.

— Dis, embrasse-moi… Embrasse-moi bien fort, comme tu m’aimes. Cela nous donnera du courage… Ah ! oui, du courage, nous en avons besoin ! Il faut s’aimer autrement que les autres, plus que tous les autres, pour faire ce que nous allons faire… Embrasse-moi de tout ton cœur, de toute ton âme.

Étranglé, il ne soufflait plus. Une clameur de foule, dans son crâne, l’empêchait d’entendre ; tandis que des morsures de feu, derrière les oreilles, lui trouaient la tête, gagnaient ses bras, ses jambes, le chassaient de son propre corps, sous le galop de l’autre, la bête envahissante. Ses mains n’allaient plus être à lui, dans l’ivresse trop forte de cette nudité de femme. Les seins nus s’écrasaient contre ses vêtements, le cou nu se tendait, si blanc, si délicat, d’une irrésistible tentation ; et l’odeur chaude et âpre, souveraine, achevait de le jeter à un furieux vertige, un balancement sans fin, où sombrait sa volonté, arrachée, anéantie.

— Embrasse-moi, mon chéri, pendant que nous avons une minute encore… Tu sais qu’il va être là. Maintenant, s’il a marché vite, d’une seconde à l’autre, il peut frapper… Puisque tu ne veux pas que nous descendions, rappelle-toi bien : moi, j’ouvrirai ; toi, tu seras derrière la porte ; et n’attends pas, tout de suite, oh ! tout de suite, pour en finir… Je t’aime tant, nous serons si heureux ! Lui, n’est