Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/371

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semblait rouler depuis une éternité, dans le silence lourd de la chambre. Et, soulevée sur un coude, elle attendait que cette secousse d’ouragan se fût perdue au loin, au fond de la campagne endormie :

— Encore un quart d’heure, dit Jacques tout haut. Il a dépassé le bois de Bécourt, il est à moitié route. Ah ! que c’est long !

Mais, comme il revenait vers la fenêtre, il trouva, debout devant le lit, Séverine en chemise.

— Si nous descendions avec la lampe, expliqua-t-elle. Tu verrais l’endroit, tu te placerais, je te montrerais comment j’ouvrirai la porte et quel mouvement tu auras à faire.

Lui, tremblant, reculait.

— Non, non ! pas la lampe !

— Écoute donc, nous la cacherons ensuite. Il faut pourtant se rendre compte.

— Non, non ! recouche-toi !

Elle n’obéissait pas, elle marchait sur lui, au contraire, avec le sourire invincible et despotique de la femme qui se sait toute-puissante par le désir. Quand elle le tiendrait dans ses bras, il céderait à sa chair, il ferait ce qu’elle voudrait. Et elle continuait de parler, d’une voix de caresse, pour le vaincre.

— Voyons, mon chéri, qu’as-tu ? On dirait que tu as peur de moi. Dès que je m’approche, tu sembles m’éviter. Et si tu savais, en ce moment, comme j’ai besoin de m’appuyer à toi, de sentir que tu es là, que nous sommes bien d’accord, pour toujours, toujours, entends-tu !

Elle avait fini par l’acculer à la table, et il ne pouvait la fuir davantage, il la regardait, dans la vive clarté de la lampe. Jamais il ne l’avait vue ainsi, la chemise ouverte, coiffée si haut, qu’elle était toute nue, le cou nu, les seins nus. Il étouffait, luttant, déjà emporté, étourdi par le flot de son sang, dans l’abominable frisson. Et il se souvenait