Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/385

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Pecqueux s’en apercevait, le sang au visage, serrant déjà les poings.

— Allons nous coucher, il est temps.

— Oui, ça vaudra mieux, bégaya le chauffeur.

Il avait empoigné le bras de Philomène, il le serrait à le briser. Elle retint un cri de douleur, elle se contenta de souffler à l’oreille du mécanicien, pendant que l’autre achevait rageusement son petit verre :

— Méfie-toi, c’est une vraie brute, quand il a bu.

Mais, dans l’escalier, des pas lourds descendaient ; et elle s’effara.

— Mon frère !… Filez vite, filez vite !

Les deux hommes n’étaient pas à vingt pas de la maison qu’ils entendirent des gifles, suivies de hurlements. Elle recevait une abominable correction, comme une petite fille prise en faute, le nez dans un pot de confitures. Le mécanicien s’était arrêté, prêt à la secourir. Mais il fut retenu par le chauffeur.

— Quoi ? est-ce que ça vous regarde, vous ?… Ah ! la nom de Dieu de garce ! s’il pouvait l’assommer !

Rue François-Mazeline, Jacques et Pecqueux se couchèrent, sans échanger une parole. Les deux lits se touchaient presque, dans l’étroite chambre ; et, longtemps, ils restèrent éveillés, les yeux ouverts, chacun à écouter la respiration de l’autre.

C’était le lundi que devaient commencer, à Rouen, les débats de l’affaire Roubaud. Il y avait là un triomphe pour le juge d’instruction Denizet, car on ne tarissait pas d’éloges, dans le monde judiciaire, sur la façon dont il venait de mener à bien cette affaire compliquée et obscure : un chef-d’œuvre de fine analyse, disait-on, une reconstitution logique de la vérité, une création véritable, en un mot.

D’abord, dès qu’il se fut transporté sur les lieux, à la Croix-de-Maufras, quelques heures après le meurtre de