Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/384

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der, ne voulant pas que l’autre, celle du Havre, l’accusât de tenir mal leur homme. Et Philomène, séduite par l’air mignon et propre de Jacques, faisait la dégoûtée.

— C’est ta femme de Paris que tu étranglerais ? demanda-t-elle par bravade. Pas de danger qu’on te l’enlève, celle-là !

— Celle-là ou une autre ! gronda-t-il.

Mais déjà elle trinquait, d’un air de plaisanterie.

— À ta santé, tiens ! Et apporte-moi ton linge, pour que je le fasse laver et repriser, car, vraiment, tu ne nous fais plus honneur, ni à l’une ni à l’autre… À votre santé, monsieur Jacques !

Comme s’il fût sorti d’un songe, Jacques tressaillit. Dans l’absence complète de remords, dans ce soulagement, ce bien-être physique où il vivait depuis le meurtre, Séverine passait ainsi parfois, apitoyant jusqu’aux larmes l’homme doux qui était en lui. Et il trinqua, en disant précipitamment, pour cacher son trouble :

— Vous savez que nous allons avoir la guerre ?

— Pas possible ! s’écria Philomène. Avec qui donc ?

— Mais avec les Prussiens… Oui, à cause d’un prince de chez eux qui veut être roi en Espagne. Hier, à la Chambre, il n’a été question que de cette histoire.

Alors, elle se désola.

— Ah bien ! ça va être drôle ! Ils nous ont déjà assez embêtés, avec leurs élections, leur plébiscite et leurs émeutes, à Paris ! Si l’on se bat, dites, est-ce qu’on prendra tous les hommes ?

— Oh ! nous autres, nous sommes garés, on ne peut pas désorganiser les chemins de fer… Seulement, ce qu’on nous bousculerait, à cause du transport des troupes et des approvisionnements ! Enfin, si ça arrive, il faudra bien faire son devoir.

Et, sur ce mot, il se leva, en voyant qu’elle avait fini par glisser une de ses jambes sous les siennes, et que