Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/396

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en dehors de toute influence, même si son gouvernement devait en souffrir : un simple cri d’honnêteté, peut-être la superstition qu’un seul acte injuste, après l’acclamation du pays, changerait le destin. Et, si le secrétaire général n’avait pas pour lui de scrupules de conscience, ayant réduit les affaires de ce monde à une simple question de mécanique, il était troublé de l’ordre reçu, il se demandait s’il devait aimer son maître jusqu’au point de lui désobéir.

Tout de suite, M. Denizet triompha.

— Eh bien, mon flair ne m’avait pas trompé, c’était ce Cabuche qui avait frappé le président… Seulement, je l’accorde, l’autre piste aussi contenait un peu de la vérité, et je sentais moi-même que le cas de Roubaud restait louche… Enfin, nous les tenons tous les deux.

M. Camy-Lamotte le regardait fixement, de ses yeux pâles.

— Alors, tous les faits du dossier qu’on m’a transmis sont prouvés, et votre conviction est absolue ?

— Absolue, aucune hésitation possible… Tout s’enchaîne, je ne me souviens pas d’une affaire, où, malgré les apparentes complications, le crime ait suivi une marche plus logique, plus aisée à déterminer d’avance.

— Mais Roubaud proteste, prend le premier meurtre pour lui, raconte une histoire, sa femme déflorée, lui affolé de jalousie, tuant dans une crise de rage aveugle. Les feuilles de l’opposition racontent toutes cela.

— Oh ! elles le racontent comme un commérage, en n’osant elles-mêmes y croire. Jaloux, ce Roubaud qui facilitait les rendez-vous de sa femme avec un amant ! Ah ! il peut, en pleines assises, répéter ce conte, il n’arrivera pas à soulever le scandale cherché !… S’il apportait quelque preuve encore ! mais il ne produit rien. Il parle bien de la lettre qu’il prétend avoir fait écrire à sa femme et qu’on aurait dû trouver dans les papiers de la victime…