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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/409

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elle s’était retournée, sans apercevoir personne, tant les ténèbres étaient épaisses. Lui, souffrait beaucoup de cette nuit d’orage. Dans son tranquille équilibre, cette santé parfaite dont il jouissait depuis le meurtre, il avait senti tout à l’heure, à table, un lointain malaise revenir chaque fois que cette femme l’avait effleuré de ses mains errantes. La fatigue sans doute, un énervement causé par la pesanteur de l’air. Maintenant, l’angoisse du désir renaissait plus vive, pleine d’une sourde épouvante, à la tenir ainsi, contre son corps. Cependant, il était bien guéri, l’expérience était faite, puisqu’il l’avait déjà possédée, la chair calme, pour se rendre compte. Son excitation devint telle, que la peur d’une crise l’aurait fait se dégager de ses bras, si l’ombre qui la noyait ne l’avait rassuré ; car jamais, même aux pires jours de son mal, il n’aurait frappé sans voir. Et, tout d’un coup, comme ils passaient près d’un talus gazonné, dans un chemin désert, et qu’elle l’y entraînait, s’allongeant, le besoin monstrueux le reprit, il fut emporté par une rage, il chercha parmi l’herbe une arme, une pierre, pour lui en écraser la tête. D’une secousse, il s’était relevé, et il fuyait déjà, éperdu, et il entendit une voix d’homme, des jurons, toute une bataille.

— Ah ! garce, j’ai attendu jusqu’au bout, j’ai voulu être sûr !

— Ce n’est pas vrai, lâche-moi !

— Ah ! ce n’est pas vrai ! Il peut courir, l’autre ! je sais qui c’est, je le rattraperai bien !… Tiens ! garce, dis encore que ce n’est pas vrai !

Jacques galopait dans la nuit, non pour fuir Pecqueux, qu’il venait de reconnaître ; mais il se fuyait lui-même, fou de douleur.

Eh quoi ! un meurtre n’avait pas suffi, il n’était pas rassasié du sang de Séverine, ainsi qu’il le croyait, le matin encore ? Voilà qu’il recommençait. Une autre, et puis une autre, et puis toujours une autre ! Dès qu’il se