et d’où les aurait précipités la moindre secousse. Et, ce soir-là, en voyant Pecqueux ivre, Jacques se méfia ; car il le savait trop sournois pour se fâcher à jeun, le vin seul déchaînait en lui la brute.
Le train qui devait partir vers six heures, fut retardé. Il était nuit déjà, lorsqu’on embarqua les soldats comme des moutons, dans des wagons à bestiaux. On avait simplement cloué des planches en guise de banquettes, on les empilait là-dedans, par escouades, bourrant les voitures au-delà du possible ; si bien qu’ils s’y trouvaient assis les uns sur les autres, quelques-uns debout, serrés à ne pas remuer un bras. Dès leur arrivée à Paris, un autre train les attendait, pour les diriger sur le Rhin. Ils étaient déjà écrasés de fatigue, dans l’ahurissement du départ. Mais, comme on leur avait distribué de l’eau-de-vie, et que beaucoup s’étaient répandus chez les débitants du voisinage, ils avaient une gaieté échauffée et brutale, très rouges, les yeux hors de la tête. Et, dès que le train s’ébranla, sortant de la gare, ils se mirent à chanter.
Jacques, tout de suite, regarda le ciel, dont une vapeur d’orage cachait les étoiles. La nuit serait très sombre, pas un souffle n’agitait l’air brûlant ; et le vent de la course, toujours si frais, semblait tiède. À l’horizon noir, il n’y avait d’autres feux que les étincelles vives des signaux. Il augmenta la pression pour franchir la grande rampe d’Harfleur à Saint-Romain. Malgré l’étude qu’il faisait d’elle depuis des semaines, il n’était pas maître encore de la machine 608, trop neuve, dont les caprices, les écarts de jeunesse le surprenaient. Cette nuit-là, particulièrement, il la sentait rétive, fantasque, prête à s’emballer pour quelques morceaux de charbon de trop. Aussi, la main sur le volant du changement de marche, surveillait-il le feu, de plus en plus inquiet des allures de son chauffeur. La petite lampe qui éclairait le niveau d’eau, laissait la plate-forme dans une pénombre, que la porte du foyer,