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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/413

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chauffeur le saisit brusquement à bras-le-corps, tâcha de le pousser, de le jeter sur la voie, d’une violente secousse.

— Gredin, c’était donc ça !… N’est-ce pas ? tu dirais que je suis tombé, bougre de sournois !

Il s’était rattrapé à un des bords du tender, et ils glissèrent tous deux, la lutte continua sur le petit pont de tôle, qui dansait violemment. Les dents serrées, ils ne parlaient plus, ils s’efforçaient l’un l’autre de se précipiter par l’étroite ouverture, qu’une barre de fer seule fermait. Mais ce n’était point commode, la machine dévorante roulait, roulait toujours ; et Barentin fut dépassé, et le train s’engouffra dans le tunnel de Malaunay, qu’ils se tenaient encore étroitement, vautrés dans le charbon, tapant de la tête contre les parois du récipient d’eau, évitant la porte rougie du foyer, où se grillaient leurs jambes, chaque fois qu’ils les allongeaient.

Un instant, Jacques songea que, s’il pouvait se relever, il fermerait le régulateur, appellerait au secours, pour qu’on le débarrassât de ce fou furieux, enragé d’ivresse et de jalousie. Il s’affaiblissait, plus petit, désespérait de trouver maintenant la force de le précipiter, vaincu déjà, sentant passer dans ses cheveux la terreur de la chute. Comme il faisait un suprême effort, la main tâtonnante, l’autre comprit, se raidit sur les reins, le souleva ainsi qu’un enfant.

— Ah ! tu veux arrêter… Ah ! tu m’as pris ma femme… Va, va, faut que tu y passes !

La machine roulait, roulait, le train venait de sortir du tunnel à grand fracas, et il continuait sa course, au travers de la campagne vide et sombre. La station de Malaunay fut franchie, dans un tel coup de vent, que le sous-chef, debout sur le quai, ne vit même pas ces deux hommes, en train de se dévorer, pendant que la foudre les emportait.

Mais Pecqueux, d’un dernier élan, précipita Jacques ;