Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/48

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— Ah ! le voici, il va rentrer, murmura tante Phasie, reprise de sa peur.

Le train annoncé arrivait, très lourd, très long, avec son grondement de plus en plus haut. Et le jeune homme dut se pencher pour se faire entendre de la malade, ému de l’état misérable où il la voyait se mettre, désireux de la soulager.

— Écoutez, marraine, s’il a vraiment de mauvaises idées, peut-être que ça l’arrêterait, de savoir que je m’en mêle… Vous feriez bien de me confier vos mille francs.

Elle eut une dernière révolte.

— Mes mille francs ! pas plus à toi qu’à lui !… Je te dis que j’aime mieux crever !

À ce moment, le train passait, dans sa violence d’orage, comme s’il eût tout balayé devant lui. La maison en trembla, enveloppée d’un coup de vent. Ce train-là, qui allait au Havre, était très chargé, car il y avait une fête pour le lendemain dimanche, le lancement d’un navire. Malgré la vitesse, par les vitres éclairées des portières, on avait eu la vision des compartiments pleins, les files de têtes rangées, serrées, chacune avec son profil. Elles se succédaient, disparaissaient. Que de monde ! encore la foule, la foule sans fin, au milieu du roulement des wagons, du sifflement des machines, du tintement du télégraphe, de la sonnerie des cloches ! C’était comme un grand corps, un être géant couché en travers de la terre, la tête à Paris, les vertèbres tout le long de la ligne, les membres s’élargissant avec les embranchements, les pieds et les mains au Havre et dans les autres villes d’arrivée. Et ça passait, ça passait, mécanique, triomphal, allant à l’avenir avec une rectitude mathématique, dans l’ignorance volontaire de ce qu’il restait de l’homme, aux deux bords, caché et toujours vivace, l’éternelle passion et l’éternel crime.

Ce fut Flore qui rentra la première. Elle alluma la