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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/64

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Pendant près d’une heure encore, Jacques marcha, la tête alourdie de songeries confuses. Il était brisé, une détente se produisait, un grand froid intérieur avait emporté sa fièvre. Sans l’avoir décidé, il finit par revenir vers la Croix-de-Maufras. Puis, lorsqu’il se retrouva devant la maison du garde-barrière, il se dit qu’il n’entrerait pas, qu’il dormirait sous le petit hangar, scellé à l’un des pignons. Mais une raie de lumière passait sous la porte, et il poussa cette porte, machinalement. Un spectacle inattendu l’arrêta sur le seuil.

Misard, dans le coin, avait dérangé le pot à beurre ; et, à quatre pattes par terre, une lanterne allumée posée près de lui, il sondait le mur à légers coups de poing, il cherchait. Le bruit de la porte le fit se redresser. Du reste, il ne se troubla pas le moins du monde, il dit simplement, d’un air naturel :

— C’est des allumettes qui sont tombées.

Et, quand il eut remis en place le pot à beurre, il ajouta :

— Je suis venu prendre ma lanterne, parce que, tout à l’heure, en rentrant, j’ai aperçu un individu étalé sur la voie… Je crois bien qu’il est mort.

Jacques, saisi d’abord à la pensée qu’il surprenait Misard en train de chercher le magot de tante Phasie, ce qui changeait en brusque certitude son doute au sujet des accusations de cette dernière, fut ensuite si violemment remué par cette nouvelle de la découverte d’un cadavre, qu’il en oublia l’autre drame, celui qui se jouait là, dans cette petite maison perdue. La scène du coupé, la vision si brève d’un homme égorgeant un homme, venait de renaître, à la lueur du même éclair.

— Un homme sur la voie, où donc ? demanda-t-il, pâlissant.

Misard allait raconter qu’il rapportait deux anguilles, décrochées de ses lignes de fond, et qu’il avait avant tout