Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/65

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galopé jusque chez lui, pour les cacher. Mais quel besoin de se confier à ce garçon ? Il n’eut qu’un geste vague, en répondant :

— Là-bas, comme qui dirait à cinq cents mètres… Faut voir clair, pour savoir.

À ce moment, Jacques entendit, au-dessus de sa tête, un choc assourdi. Il était si anxieux qu’il en sursauta.

— C’est rien, reprit le père, c’est Flore qui remue.

Et le jeune homme, en effet, reconnut le bruit de deux pieds nus sur le carreau. Elle avait dû l’attendre, elle venait écouter, par sa porte entr’ouverte.

— Je vous accompagne, reprit-il. Et vous êtes sûr qu’il est mort ?

— Dame ! ça m’a semblé. Avec la lanterne, on verra bien.

— Enfin, qu’est-ce que vous en dites ? Un accident, n’est-ce pas ?

— Ça se peut. Quelque gaillard qui se sera fait couper, ou peut-être bien un voyageur qui aura sauté d’un wagon.

Jacques frémissait.

— Venez vite ! venez vite !

Jamais une telle fièvre de voir, de savoir, ne l’avait agité. Dehors, tandis que son compagnon, sans émotion aucune, suivait la voie, balançant la lanterne, dont le rond de clarté suivait doucement les rails, lui courait en avant, s’irritait de cette lenteur. C’était comme un désir physique, ce feu intérieur qui précipite la marche des amants, aux heures de rendez-vous. Il avait peur de ce qui l’attendait là-bas, et il y volait, de tous les muscles de ses membres. Quand il arriva, quand il faillit se cogner dans un tas noir, allongé près de la voie descendante, il resta planté, parcouru des talons à la nuque d’une secousse. Et son angoisse de ne rien distinguer nettement, se tourna en jurons contre l’autre, qui s’attardait, à plus de trente pas en arrière.