Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/85

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cesse. Et la guerre n’était vraiment déclarée que depuis le jour où Philomène avait fâché les deux femmes, par d’abominables bavardages.

— Vous savez, reprit celle-ci, qu’ils sont bien capables d’avoir profité de leur voyage à Paris, pour demander votre expulsion… On m’a affirmé qu’ils ont écrit au directeur une longue lettre où ils font valoir leur droit.

Mme Lebleu suffoquait.

— Les misérables !… Et je suis bien sûre qu’ils travaillent pour mettre la buraliste avec eux ; car voici quinze jours qu’elle me salue à peine, celle-là… Encore quelque chose de propre ! Aussi, je la guette…

Elle baissa la voix pour affirmer que mademoiselle Guichon, chaque nuit, devait aller retrouver le chef de gare. Leurs deux portes se faisaient face. C’était M. Dabadie, veuf, père d’une grande fille toujours en pension, qui avait amené là cette blonde de trente ans, déjà fanée, silencieuse et mince, d’une souplesse de couleuvre. Elle avait dû être vaguement institutrice. Et impossible de la surprendre, tellement elle se glissait sans bruit, à travers les fentes les plus étroites. Par elle-même, elle ne comptait guère. Mais, si elle couchait avec le chef de gare, elle prenait une importance décisive, et le triomphe était de la tenir, en possédant son secret.

— Oh ! je finirai par savoir, continua madame Lebleu. Je ne veux pas me laisser manger… Nous sommes ici, nous y resterons. Les braves gens sont pour nous, n’est-ce pas ? ma petite.

Toute la gare, en effet, se passionnait, dans cette guerre des deux logements. Le couloir surtout en était ravagé. Il n’y avait guère que l’autre sous-chef, Moulin, qui se désintéressât, satisfait d’être sur le devant, marié à une petite femme timide et frêle, qu’on ne voyait jamais et qui lui donnait un enfant tous les vingt mois.

— Enfin, conclut Philomène, s’ils branlent dans le