Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/87

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veillance… J’ai là des dépêches pour eux, et voici dix minutes que je cours…

Il s’était retourné, dans un tel raidissement de tout son être, que pas un muscle de son visage ne bougea. Ses yeux se fixèrent sur les deux dépêches que tenait l’employé. Cette fois, à l’émotion de celui-ci, il en avait la certitude, c’était enfin la catastrophe.

— Monsieur Dabadie a passé là tout à l’heure, dit-il tranquillement.

Et jamais il ne s’était senti si froid, d’intelligence si nette, tout entier bandé à la défense. Maintenant, il était sûr de lui.

— Tenez ! reprit-il, le voici qui arrive, monsieur Dabadie.

En effet, le chef de gare revenait de la petite vitesse. Dès qu’il eut parcouru la dépêche, il s’exclama.

— Il y a eu un assassinat sur la ligne… C’est l’inspecteur de Rouen qui me télégraphie.

— Comment ? demanda Roubaud, un assassinat parmi notre personnel ?

— Non, non, sur un voyageur, dans un coupé… Le corps a été jeté, presque au sortir du tunnel de Malaunay, au poteau 153… Et la victime est un de nos administrateurs, le président Grandmorin.

À son tour, le sous-chef s’exclamait.

— Le président ! ah ! ma pauvre femme va-t-elle être chagrine !

Le cri était si juste, si apitoyé, que M. Dabadie s’y arrêta un instant.

— C’est vrai, vous le connaissiez, un si brave homme, n’est-ce pas ?

Puis, revenant à l’autre télégramme, adressé au commissaire de surveillance :

— Ça doit être du juge d’instruction, sans doute pour quelque formalité… Et il n’est que neuf heures vingt-cinq, monsieur Cauche n’est pas encore là, naturellement…