Aller au contenu

Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/89

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Comme on arrivait devant la voiture, M. Dabadie fit tout haut une réflexion :

— Pourtant, hier soir, la visite a eu lieu. S’il était resté des traces, on les aurait signalées au rapport.

— Nous allons bien voir, dit M. Cauche.

Il ouvrit la portière, il monta dans le coupé. Et, à l’instant même, il se récria, s’oubliant, jurant.

— Ah ! nom de Dieu ! on dirait qu’on a saigné un cochon !

Un petit souffle d’épouvante courut parmi les assistants, des têtes s’allongèrent ; et M. Dabadie, un des premiers, voulut voir, se haussa sur le marchepied ; pendant que, derrière lui, Roubaud, pour faire comme les autres, tendait aussi le cou.

À l’intérieur, le coupé ne montrait aucun désordre. Les glaces étaient restées fermées, tout semblait en place. Seulement, une odeur affreuse s’échappait de la portière ouverte ; et là, au milieu d’un des coussins, une mare de sang noir s’était coagulée, une mare si profonde, si large, qu’un ruisseau en avait jailli comme d’une source, s’épanchant sur le tapis. Des caillots demeuraient accrochés au drap. Et rien autre, rien que ce sang nauséabond.

M, Dabadie s’emporta.

— Où sont les hommes qui ont fait la visite, hier soir ? Qu’on me les amène !

Ils étaient justement là, ils s’avancèrent, balbutièrent des excuses : la nuit, est-ce qu’on pouvait se rendre compte ? et, cependant, ils passaient bien leurs mains partout. La veille, ils juraient n’avoir rien senti.

Cependant, M. Cauche, resté debout dans le wagon, prenait des notes au crayon, pour son rapport, Il appela Roubaud, qu’il fréquentait volontiers, tous deux fumant des cigarettes, le long du quai, aux heures de flâne.

— Monsieur Roubaud, montez donc, vous m’aiderez.

Et, quand le sous-chef eut enjambé le sang du tapis, pour ne pas marcher dedans :