Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/95

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sait. L’affaire prenait une tournure de plus en plus mystérieuse.

— Voyons, dit le commissaire, êtes-vous bien certain que personne, à Rouen, n’a pu monter dans le coupé, après que vous avez eu quitté monsieur Grandmorin ?

Évidemment, Roubaud n’avait pas prévu cette question car, pour la première fois, il se troubla, n’ayant sans doute plus la réponse préparée d’avance. Il regarda sa femme, hésitant.

— Oh ! non, je ne crois pas… On fermait les portières, on sifflait, nous avons eu bien juste le temps de regagner notre voiture… Et puis, le coupé était réservé, personne ne pouvait monter, il me semble…

Mais les yeux bleus de sa femme s’élargissaient, devenaient si grands, qu’il s’effraya d’être affirmatif.

— Après tout, je ne sais pas… Oui, peut-être quelqu’un a pu monter… Il y avait une vraie bousculade…

Et, à mesure qu’il parlait, sa voix se refaisait nette, toute cette histoire nouvelle naissait, s’affirmait.

— Vous savez, à cause des fêtes du Havre, la foule était énorme… Nous avons été obligés de défendre notre compartiment contre des voyageurs de deuxième et même de troisième classe… Avec ça, la gare est très mal éclairée, on ne voyait rien, on se poussait, on criait, dans la cohue du départ… Ma foi ! oui, il est très possible que, ne sachant comment se caser, ou même profitant de l’encombrement, quelqu’un se soit introduit de force dans le coupé, à la dernière seconde.

Et, s’interrompant :

— Hein ? ma chère, c’est ce qui a dû arriver.

Séverine, l’air brisé, son mouchoir sur ses yeux meurtris, répéta :

— C’est ce qui est arrivé, certainement.

Dès lors, la piste était donnée ; et, sans se prononcer, le commissaire de surveillance et le chef de gare échan-