Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/97

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faisait le service de l’express ; la femme, il l’avait entrevue de loin en loin, il s’était écarté d’elle comme des autres, dans sa peur maladive. Mais, à cette minute, ainsi pleurante et pâle, avec la douceur effarée de ses yeux bleus sous l’écrasement noir de sa chevelure, elle le frappa. Il ne la quittait plus du regard, et il eut une absence, il se demanda, étourdi, pourquoi les Roubaud et lui étaient là, comment les faits avaient pu les réunir devant cette voiture du crime, eux de retour de Paris, la veille, lui revenu de Barentin à l’instant même.

— Oh ! je sais, je sais, dit-il tout haut, interrompant le chauffeur. J’étais justement là-bas, à la sortie du tunnel, cette nuit, et j’ai bien cru voir quelque chose, au moment où le train a passé.

Ce fut une grosse émotion, tous l’entourèrent. Et lui, le premier, avait frémi, étonné, bouleversé de ce qu’il venait de dire. Pourquoi avait-il parlé, après s’être promis si formellement de se taire ? Tant de bonnes raisons lui conseillaient le silence ! Et les mots étaient inconsciemment sortis de ses lèvres, tandis qu’il regardait cette femme. Elle avait brusquement écarté son mouchoir, pour fixer sur lui ses yeux en larmes, qui s’agrandissaient encore.

Mais le commissaire s’était vivement approché.

— Quoi ? qu’avez-vous vu ?

Et Jacques, sous le regard immobile de Séverine, dit ce qu’il avait vu : le coupé éclairé, passant dans la nuit, à toute vapeur, et les profils fuyants des deux hommes, l’un renversé, l’autre le couteau au poing. Près de sa femme, Roubaud écoutait, en fixant sur lui ses gros yeux vifs.

— Alors, demanda le commissaire, vous reconnaîtriez l’assassin ?

— Oh ! ça, non, je ne crois pas.

— Portait-il un paletot ou une blouse ?

— Je ne pourrais rien affirmer. Songez donc, un train