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IV


Ce jour-là, dans la seconde semaine de mars, M. Denizet, le juge d’instruction, avait mandé de nouveau à son cabinet, au Palais de Justice de Rouen, certains témoins importants de l’affaire Grandmorin.

Depuis trois semaines, cette affaire faisait un bruit énorme. Elle avait bouleversé Rouen, elle passionnait Paris, et les journaux de l’opposition, dans la violente campagne qu’ils menaient contre l’empire, venaient de la prendre comme machine de guerre. L’approche des élections générales, dont la préoccupation dominait toute la politique, enfiévrait la lutte. Il y avait eu, à la Chambre, des séances très orageuses : celle où l’on avait disputé âprement la validation des pouvoirs de deux députés attachés à la personne de l’empereur ; celle encore où l’on s’était acharné contre la gestion financière du Préfet de la Seine, en réclamant l’élection d’un Conseil municipal. Et l’affaire Grandmorin arrivait à point pour continuer l’agitation, les histoires les plus extraordinaires circulaient, les journaux s’emplissaient chaque matin de nouvelles hypothèses, injurieuses pour le gouvernement. D’une part, on laissait entendre que la victime, un familier des Tuileries, ancien magistrat, commandeur de la Légion d’honneur, riche à millions, était adonné aux pires débauches ; de l’autre, l’instruction n’ayant pas abouti jusque-là, on commençait à accuser la police et la magistrature