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LES ROUGON-MACQUART.

teille de vin oubliée, essuyait la poussière des meubles du bout des doigts, fouettant sa colère de plus en plus, criant :

— Je n’ai plus qu’à prendre un balai, n’est-ce pas, et à passer un tablier de cuisine !… Tu tolérerais cela, ma parole d’honneur ! tu me laisserais faire le ménage, sans seulement t’en apercevoir. Sais-tu que j’ai passé deux heures ce matin à mettre cette armoire en ordre ? Non, ma bonne, ça ne peut pas continuer ainsi.

D’autres fois, la querelle éclatait à propos des enfants. Mouret, en rentrant, avait trouvé Désirée « faite comme un petit cochon, » toute seule dans le jardin, à plat ventre devant un trou de fourmis, pour voir ce que les fourmis faisaient dans la terre.

— C’est bien heureux que tu ne couches pas dehors ! criait-il à sa femme, dès qu’il l’apercevait. Viens donc voir ta fille. Je n’ai pas voulu qu’elle changeât de robe, pour que tu jouisses de ce beau spectacle.

La petite fille pleurait à chaudes larmes, pendant que son père la tournait sur tous les sens.

— Hein ! est-elle jolie ?… Voilà comment s’arrangent les enfants, quand on les laisse seuls. Ce n’est pas sa faute, à cette innocente. Tu ne voulais pas la quitter cinq minutes, tu disais qu’elle mettrait le feu… Oui, elle mettra le feu, tout brûlera, et ce sera bien fait.

Puis, quand Rose avait emmené Désirée, il continuait pendant des heures :

— Tu vis pour les enfants des autres, maintenant. Tu ne peux plus prendre soin des tiens. Ça s’explique… Ah ! tu es bien bête ! t’éreinter pour un tas de gueuses qui se moquent de toi, qui ont des rendez-vous dans tous les coins des remparts ! Va donc te promener, un soir, du côté du Mail, tu les verras avec leur jupon sur la tête, ces coquines que tu mets sous la protection de la Vierge…