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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/129

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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

l’abbé Faujas et sa mère étaient descendus, il refusa de faire sa partie de piquet. Il n’avait pas la tête au jeu, disait-il. Les jours suivants, il trouva d’autres prétextes, si bien que les parties cessèrent. Tout le monde descendait sur la terrasse, Mouret s’asseyait en face de sa femme et de l’abbé, causant, cherchant les occasions de prendre la parole, qu’il gardait le plus longtemps possible ; tandis que madame Faujas, à quelques pas, se tenait dans l’ombre, muette, immobile, les mains sur les genoux, pareille à une de ces figures légendaires gardant un trésor avec la fidélité rogue d’une chienne accroupie.

— Hein ! la belle soirée, disait Mouret chaque soir. Il fait meilleur ici que dans la salle à manger. Vous aviez bien raison de venir prendre le frais… Tiens ! une étoile filante ! avez-vous vu, monsieur l’abbé ? Je me suis laissé dire que c’est saint Pierre qui allume sa pipe, là-haut.

Il riait. Marthe restait grave, gênée par les plaisanteries dont il gâtait le large ciel qui s’étendait devant elle, entre les poiriers de M. Rastoil et les marronniers de la sous-préfecture. Il affectait parfois d’ignorer qu’elle pratiquait, maintenant ; il prenait l’abbé à partie, en lui déclarant qu’il comptait sur lui pour faire le salut de toute la maison. D’autres fois, il ne commençait pas une phrase sans dire sur un ton de bonne humeur : « À présent que ma femme va à confesse… » Puis, lorsqu’il était las de cet éternel sujet, il écoutait ce qu’on disait dans les jardins voisins ; il reconnaissait les voix légères qui s’élevaient, portées par l’air tranquille de la nuit, pendant que les derniers bruits de Plassans s’éteignaient au loin.

— Ça, murmurait-il, l’oreille tendue du côté de la sous-préfecture, ce sont les voix de monsieur de Condamin et du docteur Porquier. Ils doivent se moquer des Paloque… Avez-vous entendu le fausset de M. Delangre, qui a dit : « Mesdames, vous devriez rentrer ; l’air devient frais. »