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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/134

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LES ROUGON-MACQUART.

Je suis le chien… Ça ne peut pas durer, vois-tu, Paloque. Le chien finira par mordre.

À partir de ce jour, madame Paloque se montra beaucoup moins complaisante. Elle ne tint plus les écritures que très irrégulièrement, elle refusa les besognes qui lui déplaisaient, à ce point que les dames patronnesses parlèrent de prendre un employé. Marthe conta ces ennuis à l’abbé Faujas, auquel elle demanda s’il n’avait pas un bon sujet à lui recommander.

— Ne cherchez personne, lui répondit-il : j’aurai peut-être quelqu’un… Laissez-moi deux ou trois jours.

Depuis quelque temps, il recevait des lettres fréquentes, timbrées de Besançon. Elles étaient toutes de la même écriture, une grosse écriture laide. Rose, qui les lui montait, prétendait qu’il se fâchait, rien qu’à voir les enveloppes.

— Sa figure devient toute chose, disait-elle. Bien sûr qu’il n’aime guère la personne qui lui écrit si souvent.

L’ancienne curiosité de Mouret se réveilla un instant, à propos de cette correspondance. Un jour, il monta lui-même une des lettres, avec un aimable sourire, en s’excusant, en disant que Rose n’était pas là. L’abbé se méfiait sans doute, car il fit l’homme enchanté, comme s’il avait attendu cette lettre impatiemment. Mais Mouret ne se laissa pas prendre à cette comédie ; il resta sur le palier, collant son oreille contre la serrure.

— Encore de ta sœur, n’est-ce pas ? disait la voix rude de madame Faujas. Qu’a-t-elle donc à te poursuivre comme ça ?

Il y eut un silence ; puis un papier fut froissé violemment, et la voix de l’abbé gronda :

— Parbleu ! toujours la même chanson. Elle veut venir nous retrouver et nous amener son mari, pour qu’on le lui place. Elle croit que nous nageons dans l’or… J’ai peur qu’ils ne fassent un coup de tête, qu’ils ne nous tombent ici, un beau matin.