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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— C’est propre, n’est-ce pas ?… Elle devrait au moins ne pas lui donner des rendez-vous ici, puisqu’ils ont toute la journée chez eux.

Seul, M. de Condamin se mit à rire. Les autres personnes prirent un air froid. Madame Paloque, comprenant qu’elle venait de se faire du tort, essaya de tourner la chose en plaisanterie. Cependant, dans les coins, on causait de l’abbé Fenil. La grande curiosité était de savoir s’il allait venir. M. de Bourdeu, un des amis du grand vicaire, raconta doctement qu’il était souffrant. La nouvelle de cette indisposition fut accueillie par des sourires discrets. Tout le monde était au courant de la révolution qui avait eu lieu à l’évêché. L’abbé Surin donnait à ces dames des détails très-curieux sur l’horrible scène survenue entre monseigneur et le grand vicaire. Ce dernier, battu par monseigneur, faisait raconter qu’une attaque de goutte le clouait chez lui. Mais ce n’était pas là un dénouement, et l’abbé Surin ajoutait que « l’on en verrait bien d’autres. » Cela se répétait à l’oreille avec de petites exclamations, des hochements de tête, des moues de surprise et de doute. Pour l’instant, du moins, c’était l’abbé Faujas qui l’emportait. Aussi les belles dévotes se chauffaient-elles doucement à ce soleil levant.

Vers le milieu de la soirée, l’abbé Bourrette entra. Les conversations se turent, on le regarda curieusement. Personne n’ignorait que, la veille encore, il comptait sur la cure de Saint-Saturnin ; il avait suppléé l’abbé Compan pendant sa longue maladie ; la place était à lui. Il resta un instant sur le seuil, sans remarquer le mouvement que son arrivée produisait, un peu essoufflé, les paupières battantes. Puis, ayant aperçu l’abbé Faujas, il se précipita, lui serra les deux mains avec effusion, en s’écriant :

— Ah ! mon bon ami, laissez-moi vous féliciter… Je viens de chez vous, où j’ai appris par votre mère que