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LES ROUGON-MACQUART.

plus à ce que Désirée changeât de linge. L’enfant gardait parfois la même chemise pendant trois semaines ; ses bas, qui tombaient sur ses souliers éculés, n’avaient plus de talons ; ses jupes lamentables pendaient comme des loques de mendiante. Mouret, un jour, dut prendre une aiguille ; la robe fendue par derrière, du haut en bas, montrait sa peau. Elle riait d’être à moitié nue, les cheveux tombés sur les épaules, les mains noires, la figure toute barbouillée.

Marthe finit par avoir une sorte de dégoût. Lorsqu’elle revenait de la messe, gardant dans ses cheveux les vagues parfums de l’église, elle était choquée de l’odeur puissante de terre que sa fille portait sur elle. Elle la renvoyait au jardin, dès la fin du déjeuner ; elle ne pouvait la tolérer à côté d’elle, inquiétée par cette santé robuste, ce rire clair qui s’amusait de tout.

— Mon Dieu ! que cette enfant est fatigante ! murmurait-elle parfois, d’un air de lassitude énervée.

Mouret, l’entendant se plaindre, lui dit dans un mouvement de colère :

— Si elle te gêne, on peut la mettre à la porte, comme les deux autres.

— Ma foi ! je serais bien tranquille, si elle n’était plus là, répondit-elle nettement.

Vers la fin de l’été, une après-midi, Mouret s’effraya de ne plus entendre Désirée, qui faisait, quelques minutes auparavant, un tapage affreux dans le fond du jardin. Il courut, il la trouva par terre, tombée d’une échelle sur laquelle elle était montée pour cueillir des figues ; les buis avaient heureusement amorti sa chute. Mouret, épouvanté, la prit dans ses bras, en appelant au secours. Il la croyait morte ; mais elle revint à elle, assura qu’elle ne s’était pas fait de mal, et voulut remonter sur l’échelle.

Cependant, Marthe avait descendu le perron. Quand elle entendit Désirée rire, elle se fâcha.