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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/237

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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

prenait toutes mes casseroles pour arroser ses salades… On va pouvoir respirer un peu.

— Sans doute, dit Marthe, qui entamait une poire.

Mouret étouffait. Il quitta la salle à manger, sans écouter Rose, qui lui criait que le café allait être prêt tout de suite. Marthe, restée seule dans la salle à manger, acheva tranquillement sa poire.

Madame Faujas descendait, lorsque la cuisinière apporta le café.

— Entrez donc, lui dit cette dernière ; vous tiendrez compagnie à madame, et vous prendrez la tasse de monsieur, qui s’est sauvé comme un fou.

La vieille dame s’assit à la place de Mouret.

— Je croyais que vous ne preniez jamais de café, fit-elle remarquer en se sucrant.

— Oui, autrefois, répondit Rose, lorsque monsieur tenait la bourse… Maintenant, madame serait bien bête de se priver de ce qu’elle aime.

Elles causèrent une bonne heure. Marthe, attendrie, finit par conter ses chagrins à madame Faujas ; son mari venait de lui faire une scène affreuse, à propos de sa fille, qu’il avait conduite chez sa nourrice, dans un coup de tête. Et elle se défendait ; elle assurait qu’elle aimait beaucoup l’enfant, qu’elle irait la chercher un jour.

— Elle était un peu bruyante, insinua madame Faujas. Je vous ai plainte bien souvent… Mon fils aurait renoncé à venir lire son bréviaire dans le jardin ; elle lui cassait la tête.

À partir de ce jour, les repas de Marthe et de Mouret furent silencieux. L’automne était très-humide ; la salle à manger restait mélancolique, avec les deux couverts isolés, séparés par toute la largeur de la grande table. L’ombre emplissait les coins, le froid tombait du plafond. On aurait dit un enterrement, selon l’expression de Rose.