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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

du crucifiement. Elle rentra, les yeux brûlants, la voix sèche ; elle fit traîner la soirée, causant avec une gaieté qui ne lui était pas ordinaire. Lorsqu’elle monta se coucher, Mouret était déjà au lit. Et, vers minuit, des cris terrifiants réveillèrent de nouveau la maison.

La scène de l’avant-veille se renouvela ; seulement, au premier coup de poing donné dans la porte, Mouret vint ouvrir, en chemise, le visage bouleversé. Marthe, toute vêtue, pleurait à gros sanglots, allongée sur le ventre, se cognant la tête contre le pied du lit. Le corsage de sa robe semblait arraché ; deux meurtrissures se voyaient sur son cou mis à nu.

— Il aura voulu l’étrangler cette fois, murmura Rose.

Les femmes la déshabillèrent. Mouret, après avoir ouvert la porte, s’était remis au lit, frissonnant, pâle comme un linge. Il ne se défendit pas, ne parut même pas entendre les mauvaises paroles, disparaissant, s’enfonçant dans la ruelle.

Dès lors, de semblables scènes eurent lieu à des intervalles irréguliers. La maison ne vivait plus que dans la peur de quelque crime ; au moindre bruit, les locataires du second étaient sur pied. Marthe évitait toujours les allusions ; elle ne voulait absolument pas que Rose dressât un lit de sangle pour Mouret dans le bureau. Lorsque le jour se levait, il semblait qu’il emportât jusqu’au souvenir du drame de la nuit.

Cependant, peu à peu, dans le quartier, le bruit se répandait qu’il se passait d’étranges choses chez les Mouret. On racontait que le mari assommait la femme, toutes les nuits, à coups de trique. Rose avait fait jurer à madame Faujas et à Olympe de ne rien dire, puisque sa maîtresse paraissait vouloir se taire ; mais elle-même, par ses apitoiements, par ses allusions et ses restrictions, avait contribué à former chez les fournisseurs la légende qui circulait. Le boucher, un farceur, prétendait que Mouret tapait