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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/272

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LES ROUGON-MACQUART.

Alors, les cinq personnes quittèrent la chambre, laissant Mouret assis, les yeux perdus, fixés sur l’alcôve.

— Il ne pourra pas refermer la porte, dit la cuisinière en remontant. Au premier cri, je dégringole, je lui tombe sur la carcasse. Je vais me coucher habillée… Avez-vous entendu, la chère femme, comme elle mentait, pour qu’on ne fît pas un mauvais parti à ce sauvage ? Elle se laisserait tuer sans l’accuser. Quelle mine d’hypocrite il avait, hein ?

Les trois femmes causèrent un instant, sur le palier du second étage, tenant leurs bougeoirs, montrant les sécheresses de leurs os sous les fichus mal attachés ; elles conclurent qu’il n’y avait pas de supplice assez fort pour un tel homme. Trouche, qui était monté le dernier, murmura en ricanant, derrière la soutane de l’abbé Faujas :

— Elle est encore grassouillette, la propriétaire ; seulement ça ne doit pas être toujours agréable, une femme qui gigote comme un ver sur le carreau.

Ils se séparèrent. La maison rentra dans son grand silence, la nuit s’acheva paisiblement. Le lendemain, lorsque les trois femmes voulurent revenir sur l’épouvantable scène, elles trouvèrent Marthe surprise, comme honteuse et embarrassée ; elle ne répondait pas, coupait court à la conversation. Elle attendit que personne ne fût là pour faire venir un ouvrier qui répara la porte. Madame Faujas et Olympe en conclurent que madame Mouret voulait éviter le scandale en ne parlant pas.

Le surlendemain, le jour de Pâques, Marthe goûta, à Saint-Saturnin, tout un réveil ardent, dans les joies triomphantes de la résurrection. Les ténèbres du vendredi étaient balayées par une aurore ; l’église s’enfonçait, blanche, embaumée, illuminée, comme pour des noces divines ; les voix des enfants de chœur avaient des sons filés de flûte ; et elle, au milieu de ce cantique d’allégresse, se sentait soulevée par une jouissance plus terrible encore que ses angoisses