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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

ture, de passer sous les fenêtres des Rougon, avec cette suite de vauriens qu’il entendait grossir et s’enhardir derrière son dos. Comme il avançait, il fut justement obligé de faire un détour pour éviter sa belle-mère qui rentrait des vêpres en compagnie de madame de Condamin.

— Au loup, au loup ! criaient les gamins.

Mouret, la sueur au front, les pieds butant contre les pavés, entendit la vieille madame Rougon dire à la femme du conservateur des Eaux et Forêts :

— Oh ! voyez donc, le malheureux ! C’est une honte. Nous ne pouvons tolérer cela plus longtemps.

Alors, irrésistiblement, Mouret se mit à courir. Les bras tendus, la tête perdue, il se précipita dans la rue Balande, où s’engouffra avec lui la bande des gamins, au nombre de dix à douze. Il lui semblait que les boutiquiers de la rue de la Banne, les femmes du marché, les promeneurs du cours, les jeunes messieurs du cercle, les Rougon, les Condamin, tout Plassans, avec ses rires étouffés, roulaient derrière son dos, le long de la pente raide de la rue. Les enfants tapaient des pieds, glissaient sur les pavés pointus, faisaient un vacarme de meute lâchée dans le quartier tranquille.

— Attrape-le ! hurlaient-ils.

— Houp ! houp ! il est rien cocasse, avec sa redingote !

— Ohé ! vous autres, prenez par la rue Taravelle ; vous le pincerez.

— Au galop ! au galop !

Mouret, affolé, prit un élan désespéré pour atteindre sa porte ; mais le pied lui manqua, il roula sur le trottoir, où il resta quelques secondes, abattu. Les gamins, craignant les ruades, firent le cercle en poussant des cris de triomphe ; tandis que le tout petit, s’avançant gravement, lui jeta l’orange pourrie, qui s’écrasa sur son œil gauche. Il se releva péniblement, rentra chez lui, sans s’essuyer. Rose dut prendre un balai pour chasser les vauriens.