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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/294

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LES ROUGON-MACQUART.

— Peut-être qu’il a commis un crime et qu’il a enterré le cadavre dans son jardin, dit M. Maffre, devenu blême.

Alors, les deux sociétés convinrent de veiller un soir, jusqu’à minuit, s’il le fallait, pour avoir le cœur net de cette aventure. La nuit suivante, elles se tinrent aux aguets dans les deux jardins ; mais Mouret ne parut pas. Trois soirées furent ainsi perdues. La sous-préfecture abandonnait la partie ; madame de Condamin refusait de rester sous les marronniers, où il faisait un noir terrible, lorsque, la quatrième nuit, par un ciel d’encre, une lumière tremblota au rez-de-chaussée des Mouret. M. Péqueur des Saulaies, averti, se glissa lui-même dans l’impasse des Chevillottes, pour inviter la famille Rastoil à venir sur la terrasse de son hôtel, d’où l’on dominait le jardin voisin. Le président, à l’affût avec ses demoiselles derrière sa cascade, eut une courte hésitation, réfléchissant que, politiquement, il s’engageait beaucoup en allant ainsi chez le sous-préfet ; mais la nuit était si sombre, sa fille Aurélie tenait tellement à prouver la réalité de son histoire, qu’il suivit M. Péqueur des Saulaies, à pas étouffés, dans l’ombre. Ce fut de la sorte que la légitimité, à Plassans, pénétra pour la première fois chez un fonctionnaire bonapartiste.

— Ne faites pas de bruit, recommanda le sous-préfet ; penchez-vous sur la terrasse.

M. Rastoil et ses demoiselles trouvèrent là le docteur Porquier, madame de Condamin et son mari. Les ténèbres étaient si épaisses, qu’on se salua sans se voir. Cependant, toutes les respirations restaient suspendues. Mouret venait de se montrer sur le perron, avec une bougie plantée dans un grand chandelier de cuisine.

— Vous voyez qu’il tient un cierge, murmura Aurélie.

Personne ne protesta. Le fait fut acquis, Mouret tenait un cierge. Il descendit lentement le perron, tourna à gauche, demeura immobile devant un carré de laitue. Il levait la