— S’ils pouvaient se dévorer l’un l’autre, comme les deux renards dont il ne resta que les deux queues ?
La période électorale allait s’ouvrir. Plassans, que les questions politiques laissent parfaitement calme d’ordinaire, avait un commencement de légère fièvre. Une bouche invisible semblait souffler la guerre dans les rues paisibles. Le marquis de Lagrifoul, qui habitait la Palud, une grosse bourgade voisine, était descendu, depuis quinze jours, chez un de ses parents, le comte de Valqueyras, dont l’hôtel occupait tout un coin du quartier Saint-Marc. Il se faisait voir, se promenait sur le cours Sauvaire, allait à Saint-Saturnin, saluait les personnes influentes, sans sortir cependant de sa maussaderie de gentilhomme. Mais ces efforts d’amabilité, qui avaient suffi une première fois, ne paraissaient pas avoir un grand succès. Des accusations couraient, grossies chaque jour, venues on ne savait de quelle source : le marquis était d’une nullité déplorable ; avec un autre homme que le marquis, Plassans aurait eu depuis longtemps un embranchement de chemin de fer, le reliant à la ligne de Nice ; enfin, quand un enfant du pays allait voir le marquis à Paris, il devait faire trois ou quatre visites avant d’obtenir le moindre service. Cependant, bien que la candidature du député sortant fût très-compromise par ces reproches, aucun autre candidat ne s’était encore mis sur les rangs d’une façon nette. On parlait de M. de Bourdeu, tout en disant qu’il serait très-difficile de réunir une majorité sur le nom de cet ancien préfet de Louis-Philippe, qui n’avait nulle part des attaches solides. La vérité était qu’une influence inconnue venait, à Plassans, de déranger absolument les chances prévues des différentes candidatures, en rompant l’alliance des légitimistes et des républicains. Ce qui dominait, c’était une perplexité générale, une confusion pleine d’ennui, un besoin de bâcler au plus vite l’élection.
— La majorité est déplacée, répétaient les fins politiques