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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

il n’accepterait pas, il est trop modeste… On pourra le consulter, quand viendront les élections. Il ne mettra personne dedans, celui-là !

Lucien Delangre restait l’homme grave du cercle. Il montrait une grande déférence pour l’abbé Faujas, il lui conquérait le groupe des jeunes gens studieux. Souvent il se rendait avec lui au cercle, causant vivement, se taisant dès qu’ils entraient dans la salle commune.

L’abbé, régulièrement, en sortant du café établi dans les caves des Minimes, se rendait à l’œuvre de la Vierge. Il arrivait au milieu de la récréation, se montrait en souriant sur le perron de la cour. Alors toutes les galopines accouraient, se disputant ses poches, où traînaient toujours des images de sainteté, des chapelets, des médailles bénites. Il s’était fait adorer de ces grandes filles en leur donnant de petites tapes sur les joues et en leur recommandant d’être bien sages, ce qui mettait des rires sournois sur leurs mines effrontées. Souvent les religieuses se plaignaient à lui ; les enfants confiés à leur garde étaient indisciplinables, elles se battaient à s’arracher les cheveux, elles faisaient pis encore. Lui, ne voyait que des peccadilles ; il sermonnait les plus turbulentes, dans la chapelle, d’où elles sortaient soumises. Parfois, il prenait prétexte d’une faute plus grave pour faire appeler les parents, et les renvoyait, touchés de sa bonhomie. Les galopines de l’œuvre de la Vierge lui avaient ainsi gagné le cœur des familles pauvres de Plassans. Le soir, en rentrant chez elles, elles racontaient des choses extraordinaires sur monsieur le curé. Il n’était pas rare d’en rencontrer deux, dans les coins sombres des remparts, en train de se gifler, sur la question de décider laquelle des deux monsieur le curé aimait le mieux.

— Ces petites coquines représentent bien deux à trois milliers de voix, pensait Trouche en regardant, de la fenêtre de son bureau, les amabilités de l’abbé Faujas.