avaient la longue expérience des affaires publiques. Puis, comme on lui jurait que Plassans avait justement besoin d’un député en dehors des partis, il s’était laissé toucher, mais en faisant les professions de foi les plus expresses. Il était bien entendu qu’il n’irait à la Chambre ni pour vexer, ni pour soutenir quand même le gouvernement ; qu’il se considérait uniquement comme le représentant des intérêts de la ville ; que, d’ailleurs, il voterait toujours pour la liberté dans l’ordre et pour l’ordre dans la liberté ; enfin qu’il resterait maire de Plassans, de façon à bien montrer le rôle tout conciliant, tout administratif, dont il consentait à se charger. De telles paroles parurent singulièrement sages. Les fins politiques du cercle du Commerce répétaient, le soir même, à l’envi :
— Je l’avais dit, Delangre est l’homme qu’il nous faut… Je suis curieux de savoir ce que le sous-préfet pourra répondre, quand le nom du maire sortira de l’urne. On ne nous accusera peut-être pas d’avoir voté en écoliers boudeurs ; pas plus qu’on ne pourra nous reprocher de nous être mis à genoux devant le gouvernement… Si l’empire recevait quelques leçons de ce genre, les affaires iraient mieux.
Ce fut une traînée de poudre. La mine était prête, une étincelle avait suffi. De toutes parts à la fois, des trois quartiers de la ville, dans chaque maison, dans chaque famille, le nom de M. Delangre monta au milieu d’un concert d’éloges. Il devenait le Messie attendu, le sauveur ignoré la veille, révélé le matin et adoré le soir.
Au fond des sacristies, au fond des confessionnaux, le nom de M. Delangre était balbutié ; il roulait dans l’écho des nefs, tombait des chaires de la banlieue, s’administrait d’oreille à oreille, comme un sacrement, s’élargissait jusqu’au fond des dernières maisons dévotes. Les prêtres le portaient entre les plis de leur soutane ; l’abbé Bourrette