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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/333

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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

il souffre plus que vous… Faites-le pour Ovide, ma chère enfant ; allez-vous-en, revenez-nous bien portante.

Mais, relevant sa face rouge de larmes, mettant dans un cri toute son angoisse, Marthe cria :

— Ah ! tenez, le ciel ment !

Les jours suivants, il ne fut plus question du voyage à Nice. Madame Mouret s’affolait à la moindre allusion. Elle refusait de quitter Plassans, avec une énergie si désespérée, que le prêtre lui-même comprit le danger d’insister sur ce projet. Elle commençait à l’embarrasser terriblement dans son triomphe. Comme le disait Trouche en ricanant, c’était elle qu’on aurait dû envoyer aux Tulettes la première. Depuis l’enlèvement de Mouret, elle s’enfermait dans les pratiques religieuses les plus rigides, évitant de prononcer le nom de son mari, demandant à la prière un engourdissement de tout son être. Mais elle restait inquiète, revenant de Saint-Saturnin, avec un besoin plus âpre d’oubli.

— La propriétaire tourne joliment de l’œil, racontait chaque soir Olympe à son mari. Aujourd’hui je l’ai accompagnée à l’église ; j’ai dû la ramasser par terre… Tu rirais, si je te répétais tout ce qu’elle vomit contre Ovide ; elle est furieuse, elle dit qu’il n’a pas de cœur, qu’il l’a trompée en lui promettant un tas de consolations. Et contre le bon Dieu, donc ! Il faut l’entendre ! Il n’y a qu’une dévote pour si mal parler de la religion. On croirait que le bon Dieu lui a fait tort d’une grosse somme d’argent… Veux-tu que je te dise ? Je crois que son mari vient lui tirer les pieds, la nuit.

Trouche s’amusait beaucoup de toutes ces histoires.

— Tant pis pour elle, répondait-il. Si ce farceur de Mouret est là-bas, c’est qu’elle l’a bien voulu. À la place de Faujas, je sais comment j’arrangerais les choses ; je la rendrais contente et douce comme un mouton. Mais il est bête, Faujas ; il y laissera sa peau, tu verras… Écoute,