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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— Il n’y a rien, il n’y a rien ! continua-t-elle avec emportement ; alors vous m’avez trompée… Vous m’avez promis le ciel, en bas, sur la terrasse, par ces soirées pleines d’étoiles. Moi, j’ai accepté. Je me suis vendue, je me suis livrée. J’étais folle, dans ces premières tendresses de la prière… Aujourd’hui, le marché ne tient plus ; j’entends rentrer dans mon coin, retrouver ma vie calme. Je mettrai tout le monde à la porte, j’arrangerai la maison, je raccommoderai le linge à ma place accoutumée, sur la terrasse… Oui, j’aimais à raccommoder le linge. La couture ne me fatiguait pas… Et je veux que Désirée soit à côté de moi, sur son petit banc ; elle riait, elle faisait des poupées, la chère innocente…

Elle éclata en sanglots.

— Je veux mes enfants !… C’étaient eux qui me protégeaient. Lorsqu’ils n’ont plus été là, j’ai perdu la tête, j’ai commencé à mal vivre… Pourquoi me les avez-vous pris ?… Ils s’en sont allés un à un, et la maison m’est devenue comme étrangère. Je n’y avais plus le cœur. J’étais contente, lorsque je la quittais pour une après-midi ; puis, le soir, quand je rentrais, il me semblait descendre chez des inconnus. Jusqu’aux meubles qui me paraissaient hostiles et glacés. Je haïssais la maison… Mais j’irai les reprendre, les pauvres petits. Ils changeront tout ici, dès leur arrivée… Ah ! si je pouvais me rendormir de mon bon sommeil !

Elle s’exaltait de plus en plus. Le prêtre tenta de la calmer par un moyen qui lui avait souvent réussi.

— Voyons, soyez raisonnable, chère dame, dit-il en cherchant à s’emparer de ses mains pour les tenir serrées entre les siennes.

— Ne me touchez pas ! cria-t-elle en reculant. Je ne veux pas… Quand vous me tenez, je suis faible comme un enfant. La chaleur de vos mains m’emplit de lâcheté… Ce serait à recommencer demain ; car je ne puis plus vivre,