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LES ROUGON-MACQUART.

voyez-vous, et vous ne m’apaisez que pour une heure.

Elle était devenue sombre. Elle murmura :

— Non, je suis damnée à présent. Jamais je n’aimerai plus la maison. Et si les enfants venaient, ils demanderaient leur père… Ah ! tenez, c’est cela qui m’étouffe… Je ne serai pardonnée que lorsque j’aurai dit mon crime à un prêtre.

Et tombant à genoux :

— Je suis coupable. C’est pourquoi la face de Dieu se détourne de moi.

Mais l’abbé Faujas voulut la relever.

— Taisez-vous, dit-il avec éclat. Je ne puis recevoir ici votre aveu. Venez demain à Saint-Saturnin.

— Mon père, reprit-elle en se faisant suppliante, ayez pitié ! Demain, je n’aurai plus la force.

— Je vous défends de parler, cria-t-il plus violemment ; je ne veux rien savoir, je détournerai la tête, je fermerai les oreilles.

Il reculait, les bras tendus, comme pour arrêter l’aveu sur les lèvres de Marthe. Tous deux se regardèrent un instant en silence, avec la sourde colère de leur complicité.

— Ce n’est pas un prêtre qui vous entendrait, ajouta-t-il d’une voix plus étouffée. Il n’y a ici qu’un homme pour vous juger et vous condamner.

— Un homme ! répéta-t-elle affolée. Eh bien ! cela vaut mieux. Je préfère un homme.

Elle se releva, continua dans sa fièvre :

— Je ne me confesse pas, je vous dis ma faute. Après les enfants, j’ai laissé partir le père. Jamais il ne m’a battue, le malheureux ! C’était moi qui étais folle. Je sentais des brûlures par tout le corps, et je m’égratignais, j’avais besoin du froid des carreaux pour me calmer. Puis, c’était une telle honte après la crise, de me voir ainsi toute nue devant le monde, que je n’osais parler. Si vous saviez quels effroyables cauchemars me jetaient par terre ! Tout l’enfer me tour-