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LES ROUGON-MACQUART.

seul. Il interrogea du regard la cuisinière, qui tourna le dos. Un mince sourire finit par paraître sur ses lèvres.

— Enfin, puisque tu le veux, murmura-t-il, je vais tenter l’affaire. Seulement, souviens-toi que, si ta mère se fâchait, tu lui expliquerais que je n’ai pas pu te résister… J’ai peur que tu ne te fasses du mal. Ça n’a rien de gai, je t’assure.

Lorsqu’ils partirent, Rose refusa absolument de les accompagner. Elle s’était assise devant un feu de souches de vigne, qui brûlait dans la grande cheminée.

— Je n’ai pas besoin d’aller me faire arracher les yeux, dit-elle aigrement. Monsieur ne m’aimait pas assez… Je reste ici, je préfère me chauffer.

— Vous seriez bien gentille alors de nous préparer un pot de vin chaud, lui glissa l’oncle à l’oreille ; le vin et le sucre sont là, dans l’armoire. Nous aurons besoin de ça, quand nous reviendrons.

Macquart ne fit pas entrer sa nièce par la grille principale de la maison des Aliénés. Il tourna à gauche, demanda à une petite porte basse le gardien Alexandre, avec lequel il échangea quelques paroles à demi-voix. Puis, silencieusement, ils s’engagèrent tous trois dans des corridors interminables. Le gardien marchait le premier.

— Je vais t’attendre ici, dit Macquart en s’arrêtant dans une petite cour ; Alexandre restera avec toi.

— J’aurais voulu être seule, murmura Marthe.

— Madame ne serait pas à la noce, répondit le gardien avec un sourire tranquille ; je risque déjà beaucoup.

Il lui fit traverser une seconde cour et s’arrêta devant une petite porte. Comme il tournait doucement la clef, il reprit en baissant la voix :

— N’ayez pas peur… Il est plus calme depuis ce matin ; on a pu lui retirer la camisole… S’il se fâchait, vous sortiriez à reculons, n’est-ce pas ? et vous me laisseriez seul avec lui.