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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

terre ; puis, lestement, il marcha à quatre pattes, le long du mur.

— Hou ! hou ! hurlait-il d’une voix rauque et prolongée.

Il s’enleva d’un bond, il retomba sur le flanc. Alors, ce fut une épouvantable scène : il se tordait comme un ver, se bleuissait la face à coups de poing, s’arrachait la peau avec les ongles. Bientôt il se trouva à demi nu, les vêtements en lambeaux, écrasé, meurtri, râlant.

— Sortez donc, madame ! criait le gardien.

Marthe était clouée. Elle se reconnaissait par terre ; elle se jetait ainsi sur le carreau, dans la chambre, s’égratignait ainsi, se battait ainsi. Et jusqu’à sa voix qu’elle retrouvait ; Mouret avait exactement son râle. C’était elle qui avait fait ce misérable.

— Il n’est pas fou ! bégayait-elle ; il ne peut pas être fou !… Ce serait horrible. J’aimerais mieux mourir.

Le gardien, la prenant à bras-le-corps, la mit à la porte ; mais elle resta là, collée au bois. Elle entendit, dans le cabanon, un bruit de lutte, des cris de cochon qu’on égorge ; puis, il y eut une chute sourde, pareille à celle d’un paquet de linge mouillé ; et un silence de mort régna. Quand le gardien ressortit, la nuit était presque tombée. Elle n’aperçut qu’un trou noir, par la porte entre-baillée.

— Fichtre ! dit le gardien encore furieux, vous êtes drôle, vous, madame, à crier qu’il n’est pas fou ! J’ai failli y laisser mon pouce, qu’il tenait entre ses dents… Le voilà tranquille pour quelques heures.

Et, tout en la reconduisant, il continuait :

— Vous ne savez pas comme ils sont tous malins ici !… Ils font les gentils pendant des heures entières, ils vous racontent des histoires qui ont l’air raisonnable ; puis, crac, sans crier gare, ils vous sautent à la gorge… Je voyais bien tout à l’heure qu’il manigançait quelque chose, pendant qu’il parlait de ses enfants ; il avait les yeux tout à l’envers.