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LES ROUGON-MACQUART.

Quand Marthe retrouva l’oncle Macquart dans la petite cour, elle répéta fiévreusement, sans pouvoir pleurer, d’une voix lente et cassée :

— Il est fou ! il est fou !

— Sans doute, il est fou, dit l’oncle en ricanant. Est-ce que tu comptais le trouver faisant le jeune homme ? On ne l’a pas mis ici pour des prunes, peut-être… D’ailleurs, la maison n’est pas saine. Au bout de deux heures, eh ! eh ! j’y deviendrais enragé, moi.

Il l’étudiait du coin de l’œil, surveillant ses moindres tressaillements nerveux. Puis, de son ton bonhomme :

— Tu veux peut-être voir la grand’mère ?

Marthe eut un geste d’effroi, en se cachant le visage entre ses mains.

— Ça n’aurait dérangé personne, reprit-il. Alexandre nous aurait fait ce plaisir… Elle est là, à côté, et il n’y a rien à craindre avec elle ; elle est bien douce. N’est-ce pas, Alexandre, qu’elle n’a jamais donné de l’ennui à la maison ? Elle reste assise, à regarder devant elle. Depuis douze ans, elle n’a pas bougé… Enfin, puisque tu ne veux pas la voir…

Comme le gardien prenait congé d’eux, il l’invita à venir boire un verre de vin chaud, en clignant les yeux d’une certaine façon, ce qui parut décider Alexandre à accepter. Ils durent soutenir Marthe, dont les jambes se dérobaient à chaque pas. Quand ils arrivèrent, ils la portaient, la face convulsée, les yeux ouverts, roidie par une de ces crises nerveuses qui la tenaient comme morte pendant des heures.

— Là, qu’est-ce que j’avais dit ? cria Rose en les apercevant. Elle est dans un joli état, et nous voilà propres pour retourner ! Est-il permis, mon Dieu ! d’avoir une tête si drôlement bâtie ? Monsieur aurait dû l’étrangler, ça lui aurait donné une leçon.

— Bah ! dit l’oncle, je vais l’allonger sur mon lit. Nous n’en mourrons pas pour passer la nuit autour du feu.