dont le visage se colorait légèrement, le ramena d’un mot :
— Est-ce le sous-préfet, demanda-t-il, le gros monsieur en cravate blanche ?
Cette question amusa Mouret extrêmement.
— Ah ! non, répondit-il en riant. On voit bien que vous ne connaissez pas monsieur Péqueur des Saulaies. Il n’a pas quarante ans. Il est grand, joli garçon, très distingué… Ce gros monsieur est le docteur Porquier, le médecin qui soigne la société de Plassans. Un homme heureux, je vous assure. Il n’a qu’un chagrin, son fils Guillaume… Maintenant, vous voyez les deux personnes qui sont assises sur le banc, et qui nous tournent le dos. C’est monsieur Paloque, le juge, et sa femme. Le ménage le plus laid du pays. On ne sait lequel est le plus abominable de la femme ou du mari. Heureusement qu’ils n’ont pas d’enfants.
Et Mouret se mit à rire plus haut. Il s’échauffait, se démenait, frappant de la main la barre d’appui.
— Non, reprit-il, montrant d’un double mouvement de tête le jardin des Rastoil et le jardin de la sous-préfecture, je ne puis regarder ces deux sociétés, sans que cela me fasse faire du bon sang… Vous ne vous occupez pas de politique, monsieur l’abbé, autrement je vous ferais bien rire… Imaginez-vous qu’à tort ou à raison je passe pour un républicain. Je cours beaucoup les campagnes, à cause de mes affaires ; je suis l’ami des paysans ; on a même parlé de moi pour le conseil général ; enfin, mon nom est connu… Eh bien ! j’ai là, à droite, chez les Rastoil, la fine fleur de la légitimité, et là, à gauche, chez le sous-préfet, les gros bonnets de l’empire. Hein ! est-ce assez drôle ? mon pauvre vieux jardin si tranquille, mon petit coin de bonheur, entre ces deux camps ennemis. J’ai toujours peur qu’ils ne se jettent des pierres par-dessus mes murs… Vous comprenez, leurs pierres pourraient tomber dans mon jardin.