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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— Toute ma petite famille, murmura Mouret avec complaisance. Nous restons chez nous, nous autres ; nous ne recevons personne. Notre jardin est un paradis fermé, où je défie bien le diable de venir nous tenter.

Il riait, en disant cela, parce qu’au fond de lui il continuait de s’amuser aux dépens de l’abbé. Celui-ci avait lentement ramené les yeux sur le groupe que formait, juste au-dessous de la fenêtre, la famille de son propriétaire. Il s’y arrêta un instant, considéra le vieux jardin aux carrés de légumes entourés de grands buis ; puis, il regarda encore les allées prétentieuses de M. Rastoil ; et, comme s’il eût voulu lever un plan des lieux, il passa au jardin de la sous-préfecture. Là, il n’y avait qu’une large pelouse centrale, un tapis d’herbe aux ondulations molles ; des arbustes à feuillage persistant formaient des massifs ; de hauts marronniers très-touffus changeaient en parc ce bout de terrain étranglé entre les maisons voisines.

Cependant, l’abbé Faujas regardait avec affectation sous les marronniers. Il se décida à murmurer :

— C’est très gai, ces jardins… Il y a aussi du monde dans celui de gauche.

Mouret leva les yeux.

— Comme toutes les après-midi, dit-il tranquillement : ce sont les intimes de monsieur Péqueur des Saulaies, notre sous-préfet… L’été, ils se réunissent également le soir, autour du bassin que vous ne pouvez voir, à gauche… Ah ! monsieur de Condamin est de retour. Ce beau vieillard, l’air conservé, fort de teint ; c’est notre conservateur des eaux et forêts, un gaillard qu’on rencontre toujours à cheval, ganté, les culottes collantes. Et menteur avec ça ! Il n’est pas du pays ; il a épousé dernièrement une toute jeune femme… Enfin, ce ne sont pas mes affaires, heureusement.

Il baissa de nouveau la tête, en entendant Désirée, qui jouait avec Serge, rire de son rire de gamine. Mais l’abbé,