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LES ROUGON-MACQUART.

faire, à la sous-préfecture. Jamais plus leur candidat ne passera. Ils ne connaissent pas le pays, ils ne sont pas de force. On m’a assuré que monsieur Péqueur des Saulaies devait avoir une préfecture, si l’élection avait bien marché. Va-t’en voir s’ils viennent, Jean ! Le voilà sous-préfet pour longtemps… Hein ! que vont-ils inventer pour jeter par terre le marquis ? car ils inventeront quelque chose, ils tâcheront, d’une façon ou d’une autre, de faire la conquête de Plassans.

Il avait levé les yeux sur l’abbé, qu’il ne regardait plus depuis un instant. La vue du visage du prêtre, attentif, les yeux luisants, les oreilles comme élargies, l’arrêta net. Toute sa prudence de bourgeois paisible se réveilla ; il sentit qu’il venait d’en dire beaucoup trop. Aussi murmura-t-il d’une voix fâchée :

— Après tout, je ne sais rien. On répète tant de choses ridicules… Je demande seulement qu’on me laisse vivre tranquille chez moi.

Il aurait bien voulu quitter la fenêtre, mais il n’osait pas s’en aller brusquement, après avoir bavardé d’une façon si intime. Il commençait à soupçonner que, si l’un des deux s’était moqué de l’autre, il n’avait certainement pas joué le beau rôle. L’abbé, avec son grand calme, continuait à jeter des regards à droite et à gauche, dans les deux jardins. Il ne fit pas la moindre tentative pour encourager Mouret à continuer. Celui-ci, qui souhaitait avec impatience que sa femme ou un de ses enfants eût la bonne idée de l’appeler, fut soulagé, lorsqu’il vit Rose paraître sur le perron. Elle leva la tête.

— Eh bien ! monsieur, cria-t-elle, ce n’est donc pas pour aujourd’hui ?… Il y a un quart d’heure que la soupe est sur la table.

— Bien ! Rose, je descends, répondit-il.

Il quitta la fenêtre, s’excusant. La froideur de la chambre,