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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/51

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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

Ils lui rendaient d’ailleurs une solide et profonde rancune, détestant surtout en lui le commerçant qui avait fait promptement de bonnes affaires. Quand leur gendre disait : « Moi, je ne dois ma fortune qu’à mon travail, » ils pinçaient les lèvres, ils comprenaient parfaitement qu’il les accusait d’avoir gagné la leur dans des trafics inavouables. Félicité, malgré sa belle maison de la place de la Sous-Préfecture, enviait sourdement le petit logis tranquille des Mouret, avec la jalousie féroce d’une ancienne marchande qui ne doit pas son aisance à ses économies de comptoir.

Félicité baisa Marthe au front, comme si celle-ci avait toujours eu seize ans. Elle tendit ensuite la main à Mouret. Tous deux causaient d’ordinaire sur un ton aigre-doux de moquerie.

— Eh bien ! lui demanda-t-elle en souriant, les gendarmes ne sont donc pas encore venus vous chercher, révolutionnaire ?

— Mais non, pas encore, répondit-il en riant également. Ils attendent pour ça que votre mari leur donne des ordres.

— Ah ! c’est très joli, ce que vous dites là, répliqua Félicité, dont les yeux flambèrent.

Marthe adressa un regard suppliant à Mouret ; il venait d’aller vraiment trop loin. Mais il était lancé, il reprit :

— Véritablement, nous ne songeons à rien ; nous vous recevons là, dans la salle à manger. Passons au salon, je vous en prie.

C’était une de ses plaisanteries habituelles. Il affectait les grands airs de Félicité, lorsqu’il la recevait chez lui. Marthe eut beau dire qu’on était bien là, il fallut qu’elle et sa mère le suivissent dans le salon. Et il s’y donna beaucoup de peine, ouvrant les volets, poussant des fauteuils. Le salon, où l’on n’entrait jamais, et dont les fenêtres restaient le plus souvent fermées, était une grande pièce abandonnée, dans