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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— Vous savez bien que je ne puis pas aller chez vous… Vous recevez un tas de personnages qui seraient enchantés de m’être désagréables. Puis, je ne veux pas me fourrer dans la politique.

— Mais vous vous trompez, répliqua Félicité, vous vous trompez, entendez-vous, Mouret ! Ne dirait-on pas que mon salon est un club ? C’est ce que je n’ai pas voulu. Toute la ville sait que je tâche de rendre ma maison aimable. Si l’on cause politique chez moi, c’est dans les coins, je vous assure. Ah bien ! la politique, elle m’a assez ennuyée, autrefois… Pourquoi dites-vous cela ?

— Vous recevez toute la bande de la sous-préfecture, murmura Mouret d’un air maussade.

— La bande de la sous-préfecture ? répéta-t-elle ; la bande de la sous-préfecture… Sans doute, je reçois ces messieurs. Je ne crois pourtant pas qu’on rencontre souvent chez moi monsieur Péqueur des Saulaies, cet hiver ; mon mari lui a dit son fait, à propos des dernières élections. Il s’est laissé jouer comme un niais… Quant à ses amis, ce sont des hommes de bonne compagnie. Monsieur Delangre, monsieur de Condamin sont très-aimables, ce brave Paloque est la bonté même, et vous n’avez rien à dire, je pense, contre le docteur Porquier.

Mouret haussa les épaules.

— D’ailleurs, continua-t-elle en appuyant ironiquement sur ses paroles, je reçois aussi la bande de monsieur Rastoil, le digne monsieur Maffre et notre savant ami monsieur de Bourdeu, l’ancien préfet… Vous voyez bien que nous ne sommes pas exclusifs, toutes les opinions sont accueillies chez nous. Mais comprenez donc que je n’aurais pas quatre chats, si je choisissais mes invités dans un parti ! Puis nous aimons l’esprit partout où il se trouve, nous avons la prétention d’avoir à nos soirées tout ce que Plassans renferme de personnes distinguées… Mon salon est un terrain neutre ; rete-