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LES ROUGON-MACQUART.

nez bien cela, Mouret ; oui, un terrain neutre, c’est le mot propre.

Elle s’était animée en parlant. Chaque fois qu’on la mettait sur ce sujet, elle finissait par se fâcher. Son salon était sa grande gloire ; comme elle le disait, elle voulait y trôner, non en chef de parti, mais en femme du monde. Il est vrai que les intimes prétendaient qu’elle obéissait à une tactique de conciliation, conseillée par son fils Eugène, le ministre, qui la chargeait de personnifier, à Plassans, les douceurs et les amabilités de l’empire.

— Vous direz ce que vous voudrez, mâcha sourdement Mouret, votre Maffre est un calotin, votre Bourdeu, un imbécile, et les autres sont des gredins, pour la plupart. Voilà ce que je pense… Je vous remercie de votre invitation, mais ça me dérangerait trop. J’ai l’habitude de me coucher de bonne heure. Je reste chez moi.

Félicité se leva, tourna le dos à Mouret, disant à sa fille :

— Je compte toujours sur toi, n’est-ce pas, ma chérie ?

— Certainement, répondit Marthe, qui voulait adoucir le refus brutal de son mari.

La vieille dame s’en allait, lorsqu’elle parut se raviser. Elle demanda à embrasser Désirée, qu’elle avait aperçue dans le jardin. Elle ne voulut pas même qu’on appelât l’enfant ; elle descendit sur la terrasse, encore toute mouillée d’une légère pluie tombée le matin. Là, elle fut pleine de caresses pour sa petite-fille, qui restait un peu effarouchée devant elle ; puis, levant la tête comme par hasard, regardant les rideaux du second, elle s’écria :

— Tiens ! vous avez loué ?… Ah ! oui, je me souviens, à un prêtre, je crois. J’ai entendu parler de ça… Quel homme est-ce, ce prêtre ?

Mouret la regarda fixement. Il eut comme un rapide soupçon, il pensa qu’elle était venue uniquement pour l’abbé Faujas.