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LES ROUGON-MACQUART.

vait avec quel argent, une petite maison située au village des Tulettes, à trois lieues de Plassans. Peu à peu, il s’était nippé ; il avait même fini par faire l’emplette d’une carriole et d’un cheval, si bien qu’on ne rencontrait plus que lui sur les routes, fumant sa pipe, buvant le soleil, ricanant d’un air de loup rangé. Les ennemis des Rougon disaient tout bas que les deux frères avaient commis quelque mauvais coup ensemble, et que Pierre Rougon entretenait Antoine Macquart.

— Bonjour, l’oncle, répétait Mouret avec affectation ; vous venez donc nous faire une petite visite ?

— Mais oui, répondit Macquart d’un ton bon enfant. Tu sais, chaque fois que je passe à Plassans… Ah ! par exemple, Félicité, si je m’attendais à vous trouver ici ! J’étais venu pour voir Rougon, j’avais quelque chose à lui dire…

— Il était à la maison, n’est-ce pas ? interrompit-elle avec une vivacité inquiète. C’est bien, c’est bien, Macquart.

— Oui, il était à la maison, continua tranquillement l’oncle ; je l’ai vu, et nous avons causé. C’est un bon enfant, Rougon.

Il eut un léger rire. Et tandis que Félicité piétinait d’anxiété, il reprit de sa voix traînante, si étrangement brisée, qu’il semblait toujours se moquer du monde :

— Mouret, mon garçon, je t’ai apporté deux lapins ; ils sont là dans un panier. Je les ai donnés à Rose… J’en avais aussi deux pour Rougon ; vous les trouverez chez vous, Félicité, et vous m’en direz des nouvelles. Ah ! les gredins, sont-ils gras ! Je les ai engraissés pour vous… Que voulez-vous, mes enfants ? moi, ça me fait plaisir, de faire des cadeaux.

Félicité était toute pâle, les lèvres serrées, tandis que Mouret continuait à la regarder avec un rire en dessous. Elle aurait bien voulu se retirer ; mais elle craignait les bavardages, si elle laissait Macquart derrière elle.