Aller au contenu

Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
LES ROUGON-MACQUART.

l’abbé Bourrette m’a prêté, la relation des Missions en Chine.

Mouret s’arrêta net devant sa femme.

— À propos, reprit-il, il n’est venu personne ?

— Non, personne, mon ami, dit Marthe d’un air surpris.

Il allait continuer, mais il parut se raviser ; il piétina encore un instant, sans rien dire ; puis, s’avançant vers le perron :

— Eh bien ! Rose, et ce dîner qui brûlait ?

— Pardi ! cria du fond du corridor la voix furieuse de la cuisinière, il n’y a plus rien de prêt maintenant ; tout est froid. Vous attendrez, monsieur.

Mouret eut un rire silencieux ; il cligna l’œil gauche, en regardant sa femme et ses enfants. La colère de Rose semblait l’amuser fort. Il s’absorba ensuite dans le spectacle des arbres fruitiers de son voisin.

— C’est surprenant, murmura-t-il, M. Rastoil a des poires magnifiques, cette année.

Marthe, inquiète depuis un instant, semblait avoir une question sur les lèvres. Elle se décida, elle dit timidement :

— Est-ce que tu attendais quelqu’un aujourd’hui, mon ami ?

— Oui et non, répondit-il, en se mettant à marcher de long en large.

— Tu as loué le second étage, peut-être ?

— J’ai loué, en effet.

Et, comme un silence embarrassé se faisait, il continua de sa voix paisible :

— Ce matin, avant de partir pour les Tulettes, je suis monté chez l’abbé Bourrette ; il a été très-pressant, et, ma foi ! j’ai conclu… Je sais bien que cela te contrarie. Seulement, songe un peu, tu n’es pas raisonnable, ma bonne.