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Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/62

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LES ROUGON-MACQUART.

lui pour plus tard. En attendant, le nouveau vicaire se tiendrait dans l’ombre, pour ne pas exciter des jalousies.

L’abbé Bourrette avait repris sa marche, tournant le coin de la rue de la Banne. Il dit tranquillement :

— Vous me surprenez beaucoup… Faujas est un homme simple, il a même trop d’humilité. Ainsi, à l’église, il se charge des petites besognes que nous abandonnons d’ordinaire aux prêtres habitués. C’est un saint, mais ce n’est pas un garçon habile. Je l’ai à peine entrevu chez Monseigneur. Dès le premier jour, il a été en froid avec l’abbé Fenil. Je lui avais pourtant expliqué qu’il fallait devenir l’ami du grand-vicaire, si l’on voulait être bien reçu à l’évêché. Il n’a pas compris ; il est de jugement un peu étroit, je le crains… Tenez, c’est comme ses continuelles visites à l’abbé Compan, notre pauvre curé, qui a pris le lit depuis quinze jours, et que nous allons sûrement perdre. Eh bien ! elles sont hors de saison, elles lui feront un tort immense. Compan n’a jamais pu s’entendre avec Fenil ; il faut vraiment arriver de Besançon pour ignorer une chose qui est connue du diocèse entier.

Il s’animait. Il s’arrêta à son tour à l’entrée de la rue Canquoin, se plantant devant Mouret.

— Non, mon cher monsieur, on vous a trompé : Faujas est innocent comme l’enfant qui vient de naître… Moi, je n’ai pas d’ambition, n’est-ce pas ? Et Dieu sait si j’aime Compan, un cœur d’or ! Ça n’empêche pas que je vais lui serrer la main en cachette. Lui-même me l’a dit : « Bourrette, je n’en ai plus pour longtemps, mon vieil ami. Si tu veux être curé après moi, tâche qu’on ne te voie pas trop souvent sonner à ma porte. Viens la nuit et frappe trois coups, ma sœur t’ouvrira. » Maintenant, j’attends la nuit, vous comprenez… C’est inutile de déranger sa vie. On a déjà tant de chagrins !

La voix s’était attendrie. Il joignit les deux mains sur son