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LES ROUGON-MACQUART.

s’en donne entre prêtres, d’une ville à une autre… Il me semble que tu aurais pu écrire à Besançon, te renseigner, savoir enfin qui tu vas introduire chez toi.

Mouret ne voulait point s’emporter ; il eut un rire de complaisance.

— Ce n’est pas le diable, peut-être… Te voilà toute tremblante. Je ne te savais pas si superstitieuse que ça. Tu ne crois pas au moins que les prêtres portent malheur, comme on dit. Ils ne portent pas bonheur non plus, c’est vrai. Ils sont comme les autres hommes… Ah bien ! tu verras, lorsque cet abbé sera là, si sa soutane me fait peur !

— Non, je ne suis pas superstitieuse, tu le sais, murmura Marthe. J’ai comme un gros chagrin, voilà tout.

Il se planta devant elle, il l’interrompit d’un geste brusque.

— C’est assez, n’est-ce pas ? dit-il. J’ai loué, n’en parlons plus.

Et il ajouta, du ton railleur d’un bourgeois qui croit avoir conclu une bonne affaire :

— Le plus clair, c’est que j’ai loué cent cinquante francs : ce sont cent cinquante francs qui entreront chaque année dans la maison.

Marthe avait baissé la tête, ne protestant plus que par un balancement vague des mains, fermant doucement les yeux, comme pour ne pas laisser tomber les larmes dont ses paupières étaient toutes gonflées. Elle jeta un regard furtif sur ses enfants, qui, pendant l’explication qu’elle venait d’avoir avec leur père, n’avaient pas paru entendre, habitués sans doute à ces sortes de scènes où se complaisait la verve moqueuse de Mouret.

— Si vous voulez manger maintenant, vous pouvez venir, dit Rose de sa voix maussade, en s’avançant sur le perron.

— C’est cela. Les enfants, à la soupe ! cria gaiement Mouret, sans paraître garder la moindre méchante humeur.