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Page:Emile Zola - La Curée.djvu/106

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LES ROUGON-MACQUART

Louis-Philippe, et il était sénateur sous Napoléon III. C’était un adorateur du trône, des quatre planches dorées recouvertes de velours ; peu lui importait l’homme qui s’y trouvait assis. Avec son ventre énorme, sa face de bœuf, son allure d’éléphant, il était d’une coquinerie charmante ; il se vendait avec majesté et commettait les plus grosses infamies au nom du devoir et de la conscience. Mais cet homme étonnait encore plus par ses vices. Il courait sur lui des histoires qu’on ne pouvait raconter qu’à l’oreille. Ses soixante-dix-huit ans fleurissaient en pleine débauche monstrueuse. À deux reprises, on avait dû étouffer de sales aventures, pour qu’il n’allât pas traîner son habit brodé de sénateur sur les bancs de la cour d’assises.

M. Toutin-Laroche, grand et maigre, ancien inventeur d’un mélange de suif et de stéarine pour la fabrication des bougies, rêvait le Sénat. Il s’était fait l’inséparable du baron Gouraud ; il se frottait à lui, avec l’idée vague que cela lui porterait bonheur. Au fond, il était très pratique, et s’il eût trouvé un fauteuil de sénateur à acheter il en aurait âprement débattu le prix. L’empire allait mettre en vue cette nullité avide, ce cerveau étroit qui avait le génie des tripotages industriels. Il vendit le premier son nom à une compagnie véreuse, à une de ces sociétés qui poussèrent comme des champignons empoisonnés sur le fumier des spéculations impériales. On put voir collée aux murs, à cette époque, une affiche portant en grosses lettres noires ces mots : Société générale des ports du Maroc, et dans laquelle le nom de M. Toutin-Laroche, avec son titre de conseiller municipal, s’étalait, en tête de liste des membres du conseil de surveillance, tous plus inconnus les uns que les autres.