Page:Emile Zola - La Curée.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
13
LA CURÉE

quelque chose qui n’arrivât à personne, qu’on ne rencontrât pas tous les jours, qui fût une jouissance rare, inconnue…

Sa voix s’était ralentie. Elle prononça ces derniers mots, cherchant, s’abandonnant à une rêverie profonde. La calèche montait alors l’avenue qui conduit à la sortie du Bois. L’ombre croissait ; les taillis couraient, aux deux bords, comme des murs grisâtres ; les chaises de fonte, peintes en jaune, où s’étale, par les beaux soirs, la bourgeoisie endimanchée, filaient le long des trottoirs, toutes vides, ayant la mélancolie noire de ces meubles de jardin que l’hiver surprend ; et le roulement, le bruit sourd et cadencé des voitures qui rentraient, passait comme une plainte triste, dans l’allée déserte.

Sans doute Maxime sentit tout le mauvais ton qu’il y avait à trouver la vie drôle. S’il était encore assez jeune pour se livrer à un élan d’heureuse admiration, il avait un égoïsme trop large, une indifférence trop railleuse, il éprouvait déjà trop de lassitude réelle, pour ne pas se déclarer écœuré, blasé, fini. D’ordinaire, il mettait quelque gloire à cet aveu.

Il s’allongea comme Renée, il prit une voix dolente.

— Tiens ! tu as raison, dit-il ; c’est crevant. Va, je ne m’amuse guère plus que toi ; j’ai souvent aussi rêvé autre chose… Rien n’est bête comme de voyager. Gagner de l’argent, j’aime encore mieux en manger, quoique ce ne soit pas toujours aussi amusant qu’on se l’imagine d’abord. Aimer, être aimé, on en a vite plein le dos, n’est-ce pas ?… Ah oui, on en a plein le dos !

La jeune femme ne répondant pas, il continua, pour la surprendre par une grosse impiété :

— Moi, je voudrais être aimé par une religieuse. Hein,