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LES ROUGON-MACQUART

les pontifes du beau veulent que Léonard de Vinci l’ait fait devant la Joconde. Le maître avait daigné sourire de la justesse de ses observations. Il faisait mettre Renée debout devant une glace, qui montait du parquet au plafond, se recueillait, avec un froncement de sourcils, pendant que la jeune femme, émue, retenait son haleine, pour ne pas bouger. Et, au bout de quelques minutes, le maître, comme pris et secoué par l’inspiration, peignait à grands traits saccadés le chef-d’œuvre qu’il venait de concevoir, s’écriait en phrases sèches :

— Robe Montespan en faye cendrée…, la traîne dessinant, devant, une basque arrondie…, gros nœuds de satin gris la relevant sur les hanches…, enfin tablier bouillonné de tulle gris perle, les bouillonnés séparés par des bandes de satin gris.

Il se recueillait encore, paraissait descendre tout au fond de son génie, et, avec une grimace triomphante de pythonisse sur son trépied, il achevait :

— Nous poserons dans les cheveux, sur cette tête rieuse, le papillon rêveur de Psyché aux ailes d’azur changeant.

Mais, d’autres fois, l’inspiration était rétive. L’illustre Worms l’appelait vainement, concentrait ses facultés en pure perte. Il torturait ses sourcils, devenait livide, prenait entre ses mains sa pauvre tête, qu’il branlait avec désespoir, et vaincu, se jetant dans un fauteuil :

— Non, murmurait-il d’une voix dolente, non, pas aujourd’hui…, ce n’est pas possible… Ces dames sont indiscrètes. La source est tarie.

Et il mettait Renée à la porte en répétant :

— Pas possible, pas possible, chère dame, vous repasserez un autre jour… Je ne vous sens pas ce matin.