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LA CURÉE

large divan, un véritable lit, qui se trouvait placé entre la cheminée et la fenêtre. Une pendule et deux flambeaux Louis XVI garnissaient la cheminée de marbre blanc. Mais la curiosité du cabinet était la glace, une belle glace trapue que les diamants de ces dames avaient criblée de noms, de dates, de vers estropiés, de pensées prodigieuses et d’aveux étonnants. Renée crut apercevoir une saleté et n’eut pas le courage de satisfaire sa curiosité. Elle regarda le divan, éprouva un nouvel embarras, se mit, afin d’avoir une contenance, à regarder le plafond et le lustre de cuivre doré, à cinq becs. Mais la gêne qu’elle ressentait était délicieuse. Pendant qu’elle levait le front, comme pour étudier la corniche, grave et le binocle à la main, elle jouissait profondément de ce mobilier équivoque, qu’elle sentait autour d’elle ; de cette glace claire et cynique, dont la pureté, à peine ridée par ces pattes de mouche ordurières, avait servi à rajuster tant de faux chignons ; de ce divan qui la choquait par sa largeur ; de la table, du tapis lui-même, où elle retrouvait l’odeur de l’escalier, une vague odeur de poussière pénétrante et comme religieuse.

Puis, lorsqu’il lui fallut baisser enfin les yeux :

— Qu’est-ce donc que ce souper de mercredi ? demanda-t-elle à Maxime.

— Rien, répondit-il, un pari qu’un de mes amis a perdu.

Dans tout autre lieu, il lui aurait dit sans hésiter qu’il avait soupé le mercredi avec une dame, rencontrée sur le boulevard. Mais, depuis qu’il était entré dans le cabinet, il la traitait instinctivement en femme à laquelle il faut plaire et dont on doit ménager la jalousie. Elle n’insista pas, d’ailleurs ; elle alla s’accouder à la rampe de la